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Nelly Tachon : la vigne pour héritage

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Nelly Tachon : la vigne pour héritage

« Si je dois me fatiguer, autant que ce soit pour moi. »

Il y a des retours qui ne sont pas des retours. Plutôt des évidences qui patientent, qui murmurent, et qui finissent un jour par s’imposer. Quand Nelly Tachon quitte l’Éducation nationale, ce n’est pas un plan de reconversion : c’est un glissement intérieur, presque silencieux. Les trajets qui s’allongent, les classes trop lourdes, les injonctions qui se contredisent… jusqu’au jour de trop, celui où elle comprend que son énergie n’est plus investie dans quelque chose qui lui appartient vraiment.

Alors la phrase arrive, nette, presque apaisée :
« Si je dois me fatiguer, autant que ce soit pour moi. »

Le domaine familial, lui, n’a jamais bougé. À Saint-Étienne-des-Ouillères, entre les reliefs du Beaujolais-Villages, 14 hectares — bientôt 19 — l’attendaient. Une route privée relie sa maison à celle de sa grand-mère, 250 mètres bordés de vignes comme un couloir vert où quatre générations ont laissé leur empreinte.

En revenant, Nelly ne reprend pas seulement une exploitation : elle reprend sa place dans une histoire qu’elle pensait éloignée, mais qui n’avait jamais cessé de l’appeler.

« C’est la nature qui décide, nous on accompagne. »

Travailler la vigne devient rapidement un langage naturel. Le silence du matin, la rigueur des gestes, le rythme des saisons… « Notre bulle verte », dit-elle à propos du domaine.
Ici, les lignes ne sont pas seulement des rangs : ce sont des souvenirs. Son père, ses tantes, son parrain, sa mère, sa grand-mère : chacun a façonné un morceau de paysage.

Nelly ne cherche ni la rupture ni la répétition. Elle avance entre les deux, dans cet équilibre qui fait les vignerons d’aujourd’hui.
« On modernise sans renier. »
Ce n’est pas un slogan : c’est une façon d’habiter la terre.

La moitié du domaine a été restructurée pour répondre au monde actuel. L’autre moitié a été gardée telle quelle, en vieilles vignes, celles qui résistent et racontent mieux que des mots la fidélité d’une famille à son terroir.

Dans ses vins, on retrouve cette tension douce entre technique et instinct. Les rouges du domaine sont travaillés avec la précision des crus : macérations ajustées, choix d’éraflage selon l’année, durées d’élevage pensées pour révéler — pas pour corriger.

Les dégustations à l’aveugle le confirment : certains millésimes pourraient faire croire qu’ils viennent d’un cru.
La « Fleur d’Amour » a été sélectionné au Guide Hachette des Vins, comme un « vin remarquable ».
Et la « Petite Robe Rouge » 2023 — ancien primeur élevé deux ans — médaillé d’or du trophée Beaujolais Nouveaux.

Mais c’est dans leurs Vins de France que l’on sent la liberté de la maison Tachon. Là où l’appellation ne s’impose plus, elle et son père plantent ce qu’ils veulent : viognier, chardonnay, pinot… non pour provoquer, mais pour explorer.

Le blanc est un manifeste : tous les cépages vendangés ensemble, pressés ensemble.
Un vin qui change chaque année, qui refuse de se figer.
« C’est la nature qui décide, nous on accompagne. »
C’est peut-être la phrase qui résume le mieux son métier : un artisanat qui accepte de ne pas tout maîtriser.

Le vin, chez Nelly et Michel son père, n’est pas un sujet technique : c’est un lien. Un geste culturel, simple et puissant.
Ils refusent les discours hygiénistes, les injonctions qui voudraient réduire la France à une table sans verre.
« La France, c’est aussi le bon vin et la bonne bouffe. Si on enlève ça, on enlève une part de ce qui nous rend heureux. »

Le vin, pour elle, ce n’est pas la performance. C’est l’apéro qui réunit, la conversation qui s’ouvre, le moment où les épaules se relâchent.

Elle pourrait se contenter du domaine, mais elle enseigne aussi. La viticulture, l’œnologie, à des élèves parfois plus âgés qu’elle. Elle leur transmet ce que son père lui a transmis : que le vin ne se juge pas sur un tableau Excel, qu’il s’apprend dans la main, dans le geste, dans l’erreur.

Elle dit souvent qu’un vin s’élève comme un enfant : on fait de son mieux, sans certitude, en laissant la place au doute. Aucune technologie ne remplacera ça. Aucun modèle ne sentira jamais la terre après la pluie.

Aujourd’hui, Nelly avance avec humilité et assurance. Elle taille, elle observe, elle vinifie.
Elle préserve un paysage menacé.
Elle redonne de la respiration à un métier qui disparaît quand personne ne le reprend.
Elle s’inscrit dans la lignée, mais ajoute sa voix : juste, moderne, sensible.

Un héritage ,une liberté, une femme dans sa vigne.

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