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BIO ET BIODYNAMIE : LA VIGNE ENTRE SCIENCE ET CROYANCE

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Mais la démarche reste exigeante. Le cuivre, seul antifongique autorisé, est limité à 4 kg/ha/an, ce qui complique la lutte contre le mildiou. Le travail mécanique du sol demande plus de temps et de main-d’œuvre, et les rendements peuvent être réduits en années difficiles. En contrepartie, le bio favorise la biodiversité, régénère les sols et séduit un marché en croissance.

Le bio a changé d’échelle économique. En 2020, les vins bio représentaient déjà 1,1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, en hausse de 13 % (Reussir, 2020). En 2023, les ventes ont progressé de 9,2 % en valeur (Veragrow, 2024), la moitié provenant de la vente directe. Pourtant, l’équilibre reste fragile. Pour la première fois en 2023, la surface agricole bio a reculé, passant de 10,5 % à 10,36 % de la SAU française (Le Monde, 2024). Un signal d’alerte, alors que le gouvernement vise 21 % en 2030.

À côté du bio, la biodynamie séduit un nombre croissant de domaines. Inspirée par Rudolf Steiner dans les années 1920, elle conçoit la vigne comme un organisme vivant en interaction avec la terre et le cosmos. Les pratiques incluent l’utilisation de « préparations » comme la bouse de corne (préparation 500) ou la silice (501), dynamisées dans l’eau et pulvérisées sur les vignes. Les travaux suivent les rythmes lunaires et planétaires.

La certification en biodynamie repose principalement sur la norme Demeter – Standards for Wine (2021), qui impose l’usage quasi exclusif des levures indigènes, limite les sulfites à 70 mg/l pour les rouges et 90 mg/l pour les blancs et rosés, interdit la concentration, la désalcoolisation et l’ajout de copeaux, et exige l’application systématique des préparations biodynamiques. Le label Biodyvin, porté par le Syndicat International des Vignerons en Culture Biodynamique, complète ce dispositif en se concentrant spécifiquement sur le vin. En France, environ 14 000 hectares étaient certifiés en 2022, soit 2 % du vignoble national (Demeter France, 2023). Des maisons comme la Romanée-Conti, Chapoutier ou Zind-Humbrecht en ont fait un gage d’excellence.

Souvent qualifiée de pratique ésotérique ou pseudo-scientifique (Charlier & Legros, 2019), la biodynamie divise. Pourtant, ses résultats séduisent de nombreux dégustateurs et consommateurs. Ses vins sont réputés pour leur intensité aromatique et leur vitalité, et bénéficient d’une image haut de gamme qui justifie des prix supérieurs. Pour les vignerons, les contraintes sont lourdes : main-d’œuvre accrue, observation permanente, rendement incertain. Mais la valorisation commerciale et l’aura qualitative compensent ces efforts.

C’est dans la cave que les cahiers des charges révèlent leurs différences les plus précises. Depuis 2012, la vinification biologique est encadrée par un règlement européen. Elle autorise l’utilisation de levures exogènes certifiées bio, limite les intrants œnologiques à une cinquantaine (contre plus de 300 en conventionnel) et impose des plafonds de sulfites : 100 mg/l pour les rouges, 150 mg/l pour les blancs et rosés, soit une réduction notable par rapport au conventionnel (Produire Bio, 2022). Les techniques de désalcoolisation, de concentration par évaporation, ou encore l’ajout de copeaux de bois sont strictement interdites. Le collage doit se faire avec des produits certifiés bio (protéines végétales, bentonite) et non à base de gélatine animale industrielle.

En biodynamie, les contraintes sont encore plus strictes. La norme Demeter bannit les levures exogènes sauf cas exceptionnel, exige une fermentation spontanée, limite les sulfites à 70 mg/l pour les rouges et 90 mg/l pour les blancs et rosés, et interdit collage et filtration agressive. Les vins doivent être élevés de manière « naturelle », sans recours à la thermo-vinification ni à l’osmose inverse. Le but n’est pas seulement de respecter un cahier des charges environnemental, mais de garantir une vinification qui traduit au maximum la vitalité du raisin et l’énergie du terroir.

Ces restrictions, souvent vécues comme contraignantes par les vignerons, sont néanmoins perçues comme garantes d’une plus grande authenticité par les consommateurs. Elles expliquent aussi en partie pourquoi les vins biodynamiques et biologiques, surtout lorsqu’ils sont produits par de grands domaines, bénéficient d’une valorisation commerciale élevée.

Le bio et la biodynamie dessinent deux chemins complémentaires. Le premier, institutionnalisé et en forte expansion, tend à devenir la norme. Le second, plus confidentiel mais prestigieux, agit comme un laboratoire d’innovation et de qualité. Ensemble, ils réinventent le vin comme une rencontre entre nature, savoir-faire et engagement, à l’heure où le climat et les consommateurs exigent plus de sens et de durabilité.

Cyril SMET

  • Demeter France (2023). Chiffres France et international. https://www.demeter.fr

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